Terres froides
Islande, 2017
L’espèce humaine est absente. Je roule dans les déserts islandais aux noms qui me sont étrangers et impronnonçables. Autour de moi, des plages de lave immenses commencent au pied des glaciers, dans le lointain, et descendent vers la mer, toujours dans le lointain. Seules quelques eaux souterraines qui jaillissent du sol et des rivières de glace fondue serpentent et traversent ces étendues de terre froide. La route que j’emprunte en longeant la côte dessert des chemins qui semblent mener nulle part. On ne voit la fin d’aucun d’entre eux. Le ciel est bas et le temps glacial. Depuis que je suis parti, il ne fait que pleuvoir ou neiger, je ne perçois entre les gouttes et les flocons que des masses de terre, de roche, de glace et de ciel. Les poteaux éléctriques miniscules à l’horizon, les clôtures qui délimitent les innombrables plaines arides et désolées, les flaques et les névés perdus ainsi que les bornes qui jalonnent mon chemin sont mes seuls repères. Ces rares traces de l’homme comme ces tâches blanches clairsemées se détachent dans un paysage entièrement plongé par ailleurs dans la noirceur. À mesure que j’avance, je m’habitue à cette obscurité et à ces dominantes de noir. Les lieux me sont plus familiers, le climat aussi. J’ai l’impression, peut-être illusoire, d’accéder à l’intimité de cette nature hostile et dépeuplée. L’uniformité du paysage s’estompe, je saisis peu à peu ses nuances et ses particularités, un nuage isolé dans le ciel, une étroite bande de terre éclairée dans un champ très sombre, quelques neiges éternelles sur le flan d’un volcan, une colline en forme de meule de foin gigantesque et improbable en plein désert… Ce qui me paraissait si homogène et monotone se révèle, à force de patience, plus inégal et plus incongru. Mais à peine suis-je à nouveau confronté à la démesure et la vastitude des lieux qu’ils redeviennent immédiatement énigmatiques et désorientants.