Sortie d’autoroute
Ostrów Mazowiecka, Białystok, Pologne, 2023


Le ciel est bleu et le temps est lourd. Une rangée d’arbres borde le talus d’une sortie d’autoroute et à côté d’elle, un panneau publicitaire se confond avec les feuilles. Dans le champ voisin, les herbes sont hautes et courent jusqu’aux racines des arbres. Seule une zone rectangulaire et pavée échappe à leur avancée. Elle entoure le scellement d’une plaque verticale. Le 11 novembre 1939, des centaines d’hommes juifs attendirent dans le froid à cet endroit. Assis les uns à côté des autres, au bord de fosses larges et profondes, leur corps était couvert de longs manteaux noirs. Sous leurs pieds, la terre retournée avait laissé place au vide. Les militaires qui les avaient conduits là les encerclèrent puis les fusillèrent dans le dos. Une fois tombés au fond des tranchées, leurs corps sans vie ou mourants furent recouverts de terre, de sable et de chaux. Et dans les heures qui suivirent, des centaines de femmes, d’enfants et de personnes âgées s’assirent au bord des mêmes fosses pour y être à leur tour abattues. Le lendemain à l’aube, après avoir fusillé les dernières victimes, les meurtriers aspergèrent d’acide l’emplacement des fosses puis les brulèrent.

À trois kilomètres à l’est de là, la ville s’est étendue depuis quelques années, recouvrant la terre d’immeubles et de maisons. Délimitée par des routes de sable ou de goudron, une forêt de pins subsiste au milieu du quartier. En avançant parmi les arbres, le vent disparaît progressivement et les sentiers s’effacent derrière la végétation. Le sol est parsemé d’aiguilles, de feuilles mortes et de déchets. Au pied d’un grand pin, une pierre émerge de terre. Il y en a d’autres autour, à peine une dizaine. La plupart sont cassées et ensevelies sous le sable. En s’approchant d’elles et en prenant le temps de les déblayer, on peut lire ce qu’il y a gravé dessus. Les inscriptions sont érodées mais encore assez profondes. À quelques pas d’ici, des enfants jouent dans le jardin de leur maison. Un grillage en métal les sépare de la forêt. Après le massacre du 11 novembre 1939, l’enceinte de l’ancien cimetière fut entièrement démolie. Depuis, rien ne l’a remplacé. Rien ne signale non plus, autour de la forêt, la présence de ces tombes ni qu’elles furent saccagées ou déterrées pour construire des bâtiments, des routes ou des trottoirs de la ville.

· Finaliste du prix du Livre Robert Delpire 2023


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