Cendres
Kalevi-Liiva, Jõelähtme, Estonie, 2024

La neige tombée sur les marches a gelé et rendu l’escalier impraticable. C’est ici que le sentier qui contourne les dunes commence, formant une longue boucle irrégulière et escarpée. À l’extérieur, la forêt s’étale à perte de vue tandis qu’au cœur, se trouvent des étendues de sable où la neige a fondu. Elle n’y tient pas comme elle tient sur les arbres, le bitume et la terre. Rien n’a poussé là non plus hormis un arbre ébranché et tordu. Plus loin, au creux d’une dune, des gens ont allumé un feu il y a quelques jours. Il reste une tache de cendres noires que le vent n’emporte pas. Les cendres, elles aussi, ont gelé. Entre 1941 et 1944, des milliers de juifs et de roms furent fusillés puis enterrés ici. Leurs corps brûlés reposent encore dans ces fosses de sable anonymes. Un mémorial a été construit en surplomb des dunes. Certaines lettres gravées dans la pierre sont plus sombres que d’autres. Elles portent encore la trace diffuse de profanations. Croix gammées, pénis urinant ou « Sieg Heil » à la bombe. Au-dessus des pierres, on entend des aboiements de chiens portés par le vent qui forcit. Certains viennent de loin, d’autres d’une bâtisse qu’on aperçoit, à travers les troncs, à quelques dizaines de mètres. Autour, il y a des barricades en bois, des piles de barils et de pneus. On dirait un terrain de paintball. Soudain, deux chevreuils font irruption sur la dune, s’arrêtent puis, à l’aboiement renouvelé d’un chien, repartent en courant. Dans le reste du pays, on fête aujourd’hui l’indépendance de 1918. Les soldats et les blindés paradent dans les villes au son des trompettes et des tambours.




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