Après la patrie et les chiens
Daugavpils, Riga, Liepāja, Grobina, Lettonie, 2023

Une route s’éloigne de la ville et descend le fleuve vers les bois alentour. On dépasse une forteresse en ruine, une station service et des garages en briques alignés. Puis, plus loin, une base militaire et ses blindés. La route s’élève alors parmi les arbres et peu à peu la neige qui tombe du ciel recouvre les dernières traces de pas et de pneus. Au niveau d’un croisement, une construction en béton tentaculaire indique la direction d’un mémorial. Après quelques kilomètres de goudron enfoui, on débouche sur un parking au milieu des bois. L’endroit est calme, on entend seulement les voix d’un jeune couple prenant la pose devant leur voiture. Derrière eux, un monument aux morts de la nation surplombe de quelques marches une longue allée rectiligne et de larges plaques commémoratives. À travers les branchages, on distingue encore un peu de la lumière du jour qui décline tandis que le couple quitte les lieux dans un ronflement de moteur. Là-bas, à l’extrémité du muret qui borde l’allée, un sentier s’élance entre des arbustes et des troncs. En l’empruntant, on atteint d’abord une clairière informe où une dizaine de croix en bois sortent de terre. Des prénoms d’animaux sont inscrits sur les planches, et des portraits encadrés de chiens ou de chats fixés à leur pied. Le chemin ne s’arrête pas là. On ne voit pas l’horizon mais il suffit de suivre le passage étroit et sinueux en poussant quelques branches. Au bout du sentier, des pierres gravées sont plantées dans la neige. D’autres sont couchées et entièrement ensevelies. La nuit tombe enfin. Ici et tout autour, plus de dix mille juifs furent massacrés à l’été 1941.

· Collection photographique de Marin Karmitz




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